Doit-on distinguer l’Oeuvre de l’Artiste ?

Doit-on distinguer l’oeuvre de l’artiste ?

J’ai reçu beaucoup de questions sur ma position sur l’affaire Polanski qui a suscité beaucoup de réactions.

L’affaire Polanski n’est pas la première à faire émerger cette question (woody Allen, Michael Jackson, Walt Disney, etc…) et comme tout est affaire de mode, bientôt nous serons passés à autre chose, en revanche, le dilemme du distinguo Homme / Artiste et Artiste / Oeuvre demeurera.

Et comme je trouve cette question vraiment passionnante, je me permets, modestement, de proposer cette réflexion.

C’est parti.

Définitions

Avant de rentrer dans le raisonnement, je veux définir le mot Homme.

Le mot « Homme » est ici avec une majuscule pour bien signifier qu’il représente la personne masculine ou féminine. Bien souvent j’ai vu noter dans ce type de débat l’Homme sans « H » ce qui porte la confusion (parfois à dessein) entre la gente masculine et l’être humain (au sens large homme ou femme).

Je pense que même s’il y a plus de cas révélés où l’homme est au centre de la polémique, il est souhaitable d’élargir le spectre pour une réflexion sur l’être humain au sens large. La création en elle même et sa relation avec son créature me plaît plus, car plus dans notre domaine artistique, et ce qui évitera aussi tout débat opposant les hommes aux femmes, ce qui n’est pas le sujet ici.

Qu’est ce qu’un Artiste ?

C’est une personne qui fait de l’art. Simple. On peut dire qu’on est Artiste dès lors qu’on a la possibilité de créer dans le domaine de l’Art et de le faire. Parce qu’avoir la possibilité pourrait se traduire par avoir l’esprit artistique, mais ça ne fait pas pour autant un Artiste tant qu’on ne concrétise pas l’idée en acte.

Un Artiste sera donc une personne qui peut créer et qui met en action ses capacités à la création.

L’Homme et L’Artiste

Peut-on distinguer l’Homme de l’Artiste ?

A priori non. Un Artiste est un Homme qui crée. Si on enlève l’Homme à l’Artiste, il n’y a plus personne dans les vêtements de l’Artiste, et il cesse d’être. Inversement si un Homme ne fait pas d’Art, il ne peut être considéré comme Artiste.

L’Homme et l’Artiste sont donc entremêlés d’un point de vue biologique. Mais peut-on apporter un peu de nuance ?

On vient de le dire l’Artiste est une personne qui crée et qui, si elle ne crée pas, ne l’est pas. Bien. Mais si elle arrête de créer, est-elle toujours pour autant Artiste ?

Prenons un exemple, un Homme peint, il est donc Artiste. Il finit sa toile, et va se promener. Lors de sa promenade est-il toujours Artiste ?

On pourrait dire : « bien oui. Il vient de peindre, le fait qu’il arrête n’en fait pas pour autant un Non-Artiste. » Parce qu’on sous-entend le fait qu’après sa promenade, ou dans les jours qui suivent, il va reprendre son activité de peintre. Mais quand est-il s’il ne peint pas après plusieurs années sans savoir si oui ou non il va reprendre son pinceau pour peindre ? A partir de combien d’année on peut considérer qu’il ne l’est plus ?

On peut rajouter à notre définition qu’un Artiste doit régulièrement faire de l’Art pour être Artiste. Mais quid d’un Artiste qui fait de l’Art pendant trois quatre ans, et qui subitement s’arrête pour réorienter sa carrière ? Est-il pour autant Artiste ? S’il ne l’est plus quel est le critère qui détermine le fait qu’il le soit encore ou pas ?

Si on considère qu’à partir du moment où on a une pensée artistique et qu’on soit, au moins une fois, passé à la réalisation de son Art, on est considéré comme Artiste. Alors dès qu’on n’a plus de démarche artistique, on n’est plus considéré comme étant Artiste.

Prenons un exemple : Luc Besson a pendant des années fait des films créatifs et artistiques. Et on peut considérer qu’après Jeanne D’Arc sa carrière artistique c’est terminé. Il n’a fait que des films commerciaux avec moins de valeur artistique. On peut se dire que Luc Besson a dès lors cessé d’être Artiste parce qu’il n’avait plus de démarche artistique.

Mais on peut se rendre compte que cet exemple a plusieurs écueils. Le premier c’est que c’est très relatif à la personne qui juge. Je juge, j’estime que Luc Besson n’était plus créatif. Mais peut être que ce n’est pas le cas d’autre spectateur, et plus important peut être que ce n’est pas le cas de Luc Besson lui-même.

Mais cet exemple a le mérite de mettre en valeur le regard extérieur : l’Art est destiné au public.

Une oeuvre qui ne serait vue par personne d’autre que son créateur à priori n’a pas de raison d’être. Il y a ce regard extérieur sur l’oeuvre qui est indispensable. Sans parler plus de l’oeuvre, parce que nous en parlerons après, on peut se poser la question de ce qui fait qu’une personne est Artiste est intérieur ou extérieur.

Une personne qui fait n’importe quoi et avec des vues purement commerciales comme Andy Warhol et qui, pour autant, est suivi par des quantités de personnes qui pensent que c’est un Artiste, est-ce que ça en fait un Artiste ?

Une personne qui se sent profondément Artiste qui crée et dont les œuvres sont jugés ridicules ou stupides, et surtout non artistiques, est ce que ça en fait pour autant un Artiste ? Un Artiste peut-il se passer de soutien ?

Ces questions ne sont pas évidentes, et je vous conseille de regarder le sous estimé Big Eyes de Tim Burton qui aborde ces questions.

Et si tous ses paramètres rentrent en considération, on peut se rendre compte qu’un Homme peut être Artiste, puis ne plus l’être en fonction de ce qu’il pense, ou de ce que les autres pensent de lui, ce qui le renvoit à son statut d’Homme. Il est donc possible de faire la différence entre les deux, vu qu’il est possible d’obtenir ce statut d’Artiste ou le perdre. C’est donc bien quelque chose de dissociable. Reste qu’il y a un paramètre qui est capital qu’il faut préciser, c’est celui du temps.

Reprenons l’exemple de Luc Besson.

Luc Besson a été créatif et a eu une démarche artistique dans la première partie de sa vie. Pour autant on l’a dit (reste relatif, nous l’avons vu aux personnes qui jugent son travail) il y a des gens qui ne le suivent plus pensant qu’il n’est plus dans cette démarche là. Il y a donc plusieurs Luc Besson, celui d’avant qui était Artiste, et celui de maintenant qui ne l’est plus.

On pourra donc se demander si l’on souhaite faire le distinguo entre l’Homme et l’Artiste, est-ce qu’on parle de L’Homme de maintenant, ou l’Homme d’hier ? Parce que vraisemblablement il a changé.

Et que dire des Hommes que l’on disait non-Artistiques qui le sont devenus, comme Ed Wood, que l’on disait fou, nul et bidon et qui trouve de nos jours des admirateurs. Ces admirateurs lui trouvant une vraie sensibilité artistique. Le facteur Temps est donc primordial.

Posons nous donc la question si l’on veut juger un Homme et sa facette Artistique, de quel Homme et de quel Artiste l’on parle ? Car de toute évidence, tout est en mouvement. On l’a vu dans l’exemple d’Ed Wood on peut attribuer le statut d’Artiste à une personne alors qu’on lui en avait privé au préalable. Et pour l’Homme, à un même instant, il peut également changer. Comment est-ce possible ?

C’est le point de vue.

Prenons Charlie Chaplin, il réalise le Kid, au moment où il a réalisé ce film, c’est une star, c’est un héros.  Le film touchant qui dénonce la misère. Mais de nos jours, Chaplin est considéré comme étant un pédophile. Quel regard porte-t-on sur Chaplin désormais ? Et sur ce film ?

L’Homme en un clin d’œil, sur une même période change par le prisme de celui qui le regarde, peut changer.

Donc si d’un même Homme, il peut y avoir plusieurs versions, idem pour ses facettes artistiques, c’est qu’il est possible de faire le distinguo entre l’Homme et l’Artiste.

C’est possible de distinguer l’Homme de l’Artiste, parce qu’il y a des différences, de même qu’il y a des variations d’un même Homme et d’un même Artiste.

L’Artiste et L’Oeuvre

Autant il peut être difficile de faire le distinguo d’un point de vue biologique entre l’Homme et l’Artiste, autant c’est plus simple entre l’Œuvre est l’Artiste, ça semble plus simple.

L’Artiste est un être humain, l’Œuvre est une création, bien souvent un objet. Donc la différence semble plus clair, de ce point de vue.

Reste qu’une fois de plus, il est bon de réfléchir au delà des apparences.

Qu’est ce qu’une œuvre si ce n’est l’expression d’un Artiste. On dit d’ailleurs bien souvent que l’Artiste a mis beaucoup de lui dans l’œuvre. Où que c’est une œuvre très personnelle. Donc à travers l’œuvre, c’est aussi l’Artiste qui s’exprime. L’œuvre devient alors une sorte de porte parole de l’Artiste, un allié, parfois même un alibi.

Par exemple, un chanteur taxé de racisme pourra dire : « pensez-vous vraiment que j’aurai pu écrire une chanson sur le vivre ensemble si j’étais à ce point moi même un raciste ? » oubliant dans la foulée qu’il y a des paroliers, qui auraient pu écrire pour lui. Et dans ce cas là, c’est bien d’un alibi qu’il s’agit.

Et dans ce cas là, on voit aussi que l’œuvre peut ne pas être sincère (dans le cas où notre chanteur serait véritablement raciste) et que la différence entre Artiste et œuvre est possible si on démasque l’insincérité de l’Auteur.

Comme nous l’avons vu, l’Artiste peut être multiple, et dans cet arbre des possibles, il y a le fait qu’il soit malhonnête, ou qu’il soit perçu comme malhonnête dans sa démarche artistique. Pour les besoins du raisonnement ici, je pense qu’il n’est pas nécessaire de traiter ces possibilités sous peine d’alourdir inutilement cet article. On considérera dès à présent les cas où l’Artiste est sincère dans son processus créatif.

On peut alors se dire que dans cette démarche l’Artiste lorsqu’il produit une oeuvre, il révèle une partie de sa psyché, bon gré ou malgré lui. Mais c’est inévitable. Il met forcément un peu de lui.

Et l’on reconnaît un grand Artiste à traiter toujours les mêmes sujets mais de manière différente, comme Spielberg et l’enfant (en décalage avec ses parents) par exemple ou Tim Burton et le marginal qui exclue de la société bien pensante mais conventionnelle.  Et si un film révèle une partie de l’Artiste, on peut se dire que plus il fait des films plus il révèle d’autre aspects, comme le ferait les pièces d’un puzzle, où ce dernier serait une vision plus précise de l’Auteur.

On pourra alors dire qu’il est difficile de pouvoir distinguer l’ensemble des œuvres de l’Auteur.

Maintenant reste que la question n’est pas « peut-on » mais « doit-on » ?

Dans la question « doit-on » il est sous entendu la notion de devoir, voir même de moral. On pourrait paraphraser la question par : « est-il bon (raisonnable) de distinguer l’Artiste de l’Oeuvre ? »

Lorsqu’il est question de moral, ça dépend de l’époque dans laquelle nous vivons, et ce que nous déciderons là maintenant ne sera pas évident dans les années qui suivront, de même qu’à une époque faire la part des choses étaient évident.

Prenons l’exemple de Molière. Molière faisait des pièces où il se moquait ouvertement de la bourgeoisie, voir même parfois du roi. Il savait que le roi allait voir la pièce, et ce dernier riait, ou le prenait mal, mais ne s’en prenait pas à Molière. Parce qu’il savait que dans le cadre de la représentation, l’oeuvre n’était pas Molière. Si Molière avait dit ouvertement, face au roi, ces reproches que sans doute aurait-il était embastillé.

Idem pour les bouffons du roi qui avaient la possibilité, à travers leur représentation de se moquer du roi, mais jamais le roi ne le punissait, car c’était toléré.

De nos jours, une oeuvre, prenons par exemple un film, doit se confondre avec le réalisateur. Un réalisateur ne pourrait pas faire de film opposé à lui même.

Si un réalisateur fait un film sur les bienfaits de la guerre, c’est que c’est un dingue, voir un nazi. Pour autant, Paul Verhoeven avait fait starship troopers film qui semblait prôner la guerre à toute force, alors que le film dénonçait justement l’entrain des pays va-t-en guerre pour mieux les ridiculiser. Verhoeven était à ce moment diamétralement opposé à son propos de façade, pour justement le dénoncer.

Est-ce bien ou mal ? Devrions nous distinguer Paul Verhoeven de Starship Troopers ? A l’évidence oui, car Paul Verhoeven a vécu la guerre et l’a toujours dénoncé. Mais à la fois on pourrait lui dire qu’en en parlant, en montrant la violence, il en fait la promotion, de manière détournée. Et si Starship troopers est un film qui prône faussement la guerre, Paul Verhoeven en montrant la violence à l’image, et en ce disant qu’il va dégoûter les spectateurs de la violence qu’il a lui même vu étant petit, et lui aussi faussement l’émissaire de la guerre. Son approche artistique, et son film sont donc assez proche. On peut donc dire que Paul Verhoeven se confond dans Starship Troopers. Mais est ce que ce film est Paul Verhoeven ? Non, bien sûr. Comme nous l’avons dit, c’est un des aspects de M. Verhoeven. Il y a bien d’autre aspect qui sont abordés dans ses autres films.

Donc doit-on le distinguer de son film ? Oui et non.

Oui parce que Paul Verhoeven est plus que ce simple film, et non parce que ce film est fait par Paul Verhoeven et qu’il a une responsabilité morale envers lui.

En effet dans le traitement, dans les sujets abordés (qu’il a choisi de traité), etc. il a bien sûr une responsabilité. Parce qu’en tant que réalisateur, il a forcément eu son mot à dire. Nuançons cependant ce propos. Il a eu son mot à dire, oui bien sûr, mais est-il le seul décisionnaire ? Non, clairement pas. Il y a le producteur qui a une influence certaine sur le film, le chef opérateur qui apportera une ambiance qui donnera une direction dans l’interprétation de l’image et donc du film.

Bien sûr le réalisateur doit chapeauter tout ça, mais un film est un travail d’équipe, et par convention on dira que le réalisateur a fait « son » film, mais c’est en réalité le film de toute une équipe.

Tout le monde a, à un moment de la conception du film, donnait son aval. Tout le monde à un moment, c’est dit ; je crois en ce film, je vais passer du temps dessus pour donner le meilleur de moi-même. Cette réflexion est particulièrement valable pour le cinéma qui est un art total, là où la peinture ne comprend bien souvent qu’une seule personne, qu’un seul Artiste.

Le cinéma, et la réalisation pour être plus précis, c’est travailler en équipe avant tout. Dire qu’un réalisateur doit être responsable de son film, c’est sous tendre qu’il est le seul à l’être, ce qui est faux. Si le fait de faire un film était un crime, toute l’équipe serait complice.

Donc vu que l’idée c’est de savoir si un Réalisateur doit être distinguer de son film ? La réponse est oui.

Un Réalisateur est un Artiste qui travaille avec d’autre Artiste et le film est une oeuvre somme, il y a un peu de chaque Artiste dedans. Dire qu’un Réalisateur est indissociable de son oeuvre c’est sous entendre que ce film a été fait par une seule personne, et c’est nier le travail de l’équipe qui a travaillée dessus.

En revanche comme dit plus haut, dire qu’un ensemble d’oeuvre traduit l’Auteur, parce que c’est autant de facette à un prisme que serait l’Artiste, et que de cette ensemble l’Auteur doit répondre. La réponse est oui. Car, dans le cas d’un Réalisateur, il y aura des ensembles communs dans chaque film qui traduirons la vision de l’Auteur, et bien qu’il y ait eu une équipe derrière chaque film, ce ne sera pas nécessairement la même à chaque film, et c’est des éléments récurrents que l’on pourra comprendre l’Auteur en lui même, et par la même sa responsabilité.

Pour résumer je dirai qu’un Auteur, et plus particulièrement un Réalisateur, doit être distinguer de « son » oeuvre, parce qu’elle est le fruit d’un travail commun. En revanche, un ensemble d’oeuvre ne doit pas être distinguer du Réalisateur car celui ci, de par les éléments récurrents entre chaque film, ne saurait s’éloigner de sa psyché profonde et serait donc responsable de son oeuvre.

Je terminerai par ceci : tout le monde connaît le fameux adage : « quand on veut on peut ». Ce à quoi Napoléon rajoutait : « Quand on peut, on doit ».  Donc à la question : « doit-on distinguer l’Artiste de l’oeuvre ? » la vraie question pourrait être : « Veut-on distinguer l’Artiste de l’oeuvre ? »

Et cette réponse dépend donc de la volonté de tout à chacun.

Bilan

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