Perfect Blue – Plan par Plan

Perfect Blue est un film de Satoshi Kon sorti en 1997. Pour ceux qui ne connaisse pas Satoshi Kon, je leur suggère vivement de voir au plus vite sa filmo, ne serait ce pour voir celui qui a inspiré Darren Aronowski (Requiem for a dream et surtout Black Swan qu’il a intégralement pillé) et Christophe Nolan qui s’est bien inspiré de Paprika pour faire Inception (notamment la scène de l’ascenceur) Si cependant le temps vous presse, et que vous deviez n’en voir qu’un regarder Perfect Blue. C’est un petit chef d’oeuvre de montage et d’idée de mise en scène.

Je vous propose ici d’étudier plan par plan une séquence de Perfect Blue. Cette scène est particulièrement brillante, que ce soit au niveau du rythme, des idées de mises en scène et de la composition des cadres.

L'étude Plan par Plan

C’est le décorticage de la partition du réalisateur. Et la compréhension de pourquoi le réalisateur à couper à cet endroit du plan, dans quel but et pour quel raccord.

Vous ne trouverez pas ici de théorie fumeuse sur « ce qu’à voulu dire le réalisateur » je ne suis pas psychanalyste, ce sera une approche cartésienne avec un soupçon de ressentit afin d’éviter toute mauvaise interprétation.

Je vous met en prélude la séquence, pour ceux qui ne l’on pas vu, vous aurez ensuite, le plan par plan. Vous verrez sur la vidéo en bas d’image « subscribe » ce n’est pas moi qui l’ai mis c’est la vidéo que j’ai récupérer pour la délimiter à juste notre séquence, qui possédait déjà ce bandeau, pensez bien que si j’avais pu trouver un extrait plus propre que je l’aurai fait, vous savez ce que je pense des sous titres (cf : pourquoi la VF est une bonne chose) mais je n’ai pas réussi à trouver mieux, donc désolé pour le confort de lecture.

Comme la séquence est assez longue, je ferai cette étude en deux articles. Voici donc le premier, vos retours sont les bienvenues.

C’est parti pour l’étude !

La Scène de la course de Perfect Blue

Plan 1

1

Plan exposition.

Voici le premier plan de la séquence, c’est un plan d’exposition.

En réalité, il y a deux autres plans au préalable, dont un qui est réellement le plan d’exposition de la séquence, mais comme ça rallongeait inutilement la vidéo, je l’ai enlevé, mais au sein de notre séquence, ce plan fait office de plan d’exposition.

On comprend où se situe l’action et le positionnement des personnages, les uns par rapport aux autres.

Mima rentre dans la pièce accompagné de son agent et se dirige vers ses deux amies. Cut.

Cut Reaction

Plan 2

2

Plan américain

Vous noterez que contre toute attente, ce n’est pas un raccord mouvement comme on pourrait s’attendre. En effet le plan commence à vide, ce n’est donc pas un raccord mouvement assumé. Pour quelle raison ? Mima n’est pas à l’aise, elle est nerveuse à l’idée de retrouver ses amies. Satoshi Kon fait un raccord mécanique : c’est le plan qui induit qu’elle doit rentrer dans le champ et non pas son mouvement qui implique un raccord mouvement. Ce qui se traduit par un une latence qui laisse sous entendre qu’elle n’est pas pressé. Il pousse la logique encore plus loin en la masquant derrière son agent dans l’apparition du plan. Satoshi Kon aurait très bien pu la placer sur la gauche de l’agent ce qui la faisait rentrer plus rapidement dans le champ, c’est donc bien une volonté du réalisateur.

De plus pourquoi Satoshi Kon ne place-t-il pas ses amis dans le plan avec elle ? Une fois de plus, c’est pour deux raisons, une liée au personnage, et l’autre liée à un effet de mise en scène.

Les deux étant intrinsèquement liés afin de donner le maximum d’impact pour le spectateur.

  • Raison 1 : Elle n’ose pas regarder ses amies et se focalise sur les gens dans la pièce. C’est donc, une fois de plus, sa gène qui en est à l’origine.
  • Raison 2 : Satoshi Kon isole Mima pour frapper fort sur le raccord point de vue. Plus on sera longtemps isolé sur elle tout en regardant quelque chose (que l’on ne voit pas hors champ) plus le raccord sera puissant. Cela crée un mini suspense au sein de la scène.

Mima se redresse. Cut.

Cut Mouvement

Plan 3

3

Mima se redresse, le raccord se fait sur son redressement de tête. Satoshi Kon continue ce qui avait été amorcé au plan d’avant : il isole Mima pour plus d’impact sur le raccord point de vue. Il utilise deux procédés :

  • le suspense dont nous avions parlé plus haut, il traîne à raccorder vers ses amies. D’autant que Mima semble surprise de ce qu’elle voit, ce qui à pour but de maintenir le suspense.
  • il ressert le cadre sur Mima, en plan épaule, afin de l’isoler d’autant plus. On a eu au plan 1, il y a 6 personnes dans le plan, sur le plan 2 il n’en reste que 4, et désormais plus qu’elle sur le plan 3.

Mima redresse la tête et est surprise. Cut.

Raccord Point de vue

Plan 4

4

C’est un raccord point de vue. On voit enfin ce qui est face à Mima. Le raccord est puissant, d’autant que ce que voit Mima est choquant, elle voit son double présente parmi ses amies et qui s’amuse comme avant. (une des crainte de Mima, qu’elle soit remplacée par une autre)

Ce qui rend ce raccord si efficace c’est le travail en amont. Faite l’exercice de raccorder immédiatement le plan 1 avec le 4, ça n’a rien à voir.

Le double s’amuse parmi ses amies. Cut.

Cut Axe

Plan 5

5

C’est un raccord dans l’axe. Dans quel but ? Pour insister sur la présence et la désinvolture du double.

Le double sourit. Cut.

Cut Réaction

Plan 6

6

C’est un raccord sur la réaction de Mima. Elle souhaite fuir et percute son agent. La maladresse est un moyen simple de trahir le malaise. C’est ici l’utilisation qu’en fait Satoshi Kon couplé au fait qu’en percutant l’agent elle alerte le double et les amies de Mima. Mima se tourne brièvement vers ses amies.

Cut Réaction

Plan 7

7

C’est un raccord sur la réaction de ses amies et non sur un raccord point de vue. Là où Satoshi Kon est malin c’est qu’il réemploi d’axe du point de vue, ce qui accentue le malaise de Mima, car lorsque l’amie de Mima réagit, elle regarde quasi face caméra, accentuant d’autant la sensation de malaise.

Mais le plus fort dans ce passage, ce n’est pas ça, c’est le contre sens que parvient à nous faire croire Satoshi kon.

Nous y reviendrons deux plans plus loin.

Dès le début de ce plan, le double s’éclipse, et l’on reste sur la réaction de l’amie de Mima qui demande ce que fait Mima ici. On raccorde sur cette phrase. Cut.

Cut Réaction

Plan 8

8

C’est un cut réaction, Mima réagit sur la réaction de son amie, elle recule inquiète et sort de la pièce. Cut.

Cut Ellipse

Plan 9

9

Je vous avais dis que Satoshi Kon avait fait fort, et c’est maintenant où ça paye.

On peut se rendre compte que ce raccord est là pour signifier une ellipse : on passe d’un lieu à un autre, et il n’y a pas la volonté de faire une entrée de champ. On est bien dans une ellipse.

De plus on est dans un raccord à 180°. En effet Mima sort vers la droite du cadre, or elle court de droite vers la gauche du cadre. Alors pour quelle raison ?

D’abord, il va régulièrement faire des raccords brutaux de ce type tout au long de la séquence pour semer la confusion. C’est donc dans un but de brouiller les pistes, Mima est confuse à ce stade là, donc c’est justifié.

Mais ça c’est l’explication sur le long terme, sur le court terme, si elle court de droite à gauche, par convention c’est utiliser pour retourner sur ses pas (c’est en effet le sens inverse de lecture) on a donc la sensation, couplé au fait qu’elle s’est fait griller par ses amies, qu’elle fuie.

Or nous verrons qu’il n’en est rien, en fait elle poursuit son double. Mais pourquoi cet effet ? Parce qu’elle poursuit son double. On pourrait faire une paraphrase en disant qu’elle se fuit elle même. Il y a une scission en elle.

Et Satoshi Kon en grand Maître qu’il est nous fait ressentir le trouble de cette confusion.

A noter que si l’on revoit la scène, on peut « comprendre » (intellect) qu’elle réagit sur le fait que le double quitte la pièce et que c’est pour ça qu’elle la poursuit. Tous les éléments sont dans les cadres. C’est la manière « logique » du personnage. Mais si l’on regarde les raccords, on « ressent » (affect) on ressent autre chose, sa réaction n’est pas affecté par son double mais par ses amies. D’où l’importance du montage et du raccord.

Mima court donc comme une dératée (ce qui accentue la sensation de fuite) à travers le couloir. Cut.

Cut Dramatisation

Plan 10

10

Ce plan permet d’identifier les genoux, mais aussi de dilater un peu le temps, on aura tendance à dire dramatiser. Afin d’accroître la dramatisation, Satoshi Kon « pompe » l’image ce qui donne une impression de distorsion ce qui accroît le malaise de Mima.

Une fois de plus il y a une forme de suspense. On ne sait pas vers où elle court et l’on croit toujours à ce stade qu’elle fuit.

Il réutilise un 180°, ce qui perturbe encore plus la spatialisation (est elle en train de rebrousser chemin ou pas ? On ne sait plus) et ce qui accentue cette perte des repères, mais tout va bientôt devenir plus clair grâce au plan suivant. Cut.

Cut Spatialisation

Plan 11

11

Ce plan va nous permettre de visualiser dans l’espace les deux protagonistes (ce qui est indispensable dans une course, pour qui a de l’avance sur qui, où savoir quand on se rapproche de l’arrivée.) Pour ce faire le plan doit nécessairement être un plan long. (quand on dit plan long c’est par opposition à un plan dit « cut » qui veut dire très court, ce n’est donc pas nécessairement un plan de 15 min qui est un plan long particulier qui peut s’appeler plan séquence)

Donc nous voyons le double, ce qui pourrait être une scène parallèle à celle de la fuite de Mima. Et l’on voit, dans la continuité, Mima qui rentre dans le champ, on en déduit donc qu’elle ne fuyait pas mais qu’elle poursuivait bien son double.

On remarque également, une idée de mise en scène qui sera exploitée tout au long de la séquence, c’est la manière différente dont les protagonistes agissent. Le double se déplace avec grâce, facilité et malgré tout extrêmement vite, et Mima se déplace maladroitement et moins vite que son double, alors qu’elle redouble d’effort.

Mima court après son double qui disparaît au détour d’un couloir. Cut.

Cut Mouvement

Plan 12

12

C’est un raccord mouvement parfaitement fluide, dans le plan précédent, le Double bondit vers le bord cadre droit. Début de ce plan, le Double rentre dans le champ par le bord cadre gauche. Le Double contourne avec grâce le couple alors que Mima le percute. On est dans l’application de l’idée de mise en scène. Fluidité et agilité du double et maladresse et difficulté de Mima.

On notera qu’afin d’accentuer encore plus l’impact de la percussion de la jeune, Satoshi Kon utilise ce qu’on appelle un amplificateur par le biais des livres qui volent dans tous les sens. Pour vous en convaincre, imaginez la même scène sans les livres : l’impact perd en puissance.

Mima renverse la jeune femme au livre. Cut.

Cut Coup

Plan 13

13

Ce raccord est ce que l’on appelle un cut coup, car souvent utilisé lors des combats, on ressert sur le protagoniste pour signifier sa douleur. Ici c’est le cas. A noter que les livres qui lui tombe dessus continue d’agir comme des amplificateur (visuel + son).

Mima tombe par terre, et souffre. Cut.

Cut Réaction

Plan 14

14

On raccorde sur la réaction du Double, ce qui permet de dramatiser encore plus la souffrance de Mima. Le plan s’attarde sur la réaction du Double, c’est pour cela que nous sommes en gros plan. Mais il permet également de ménager l’effet du plan suivant qui sera plus large, ce qui agit comme une libération. (serré/serré/LARGE)

On appréciera aussi le cadrage, le double se déplace le long de la diagonale du plan, ce qu’on appelle la ligne de force, ce qui marque sa supériorité par rapport à Mima.

Elle sort du champ (donnant l’impression qu’elle sème littéralement Mima, elle est littéralement « hors champ »). Cut.

Cut Elargissement

Plan 16

16

Comme dit plus, haut, ce plan est efficace parce qu’il est à la suite de plusieurs plans serrés. Il agit comme une libération, accentué par le mouvement (ressenti au steadycam si s’avait été un vrai film) qui donne plus de virtuosité à ses déplacements. Satoshi Kon utilise deux outils extrêmement puissants afin d’accroître la sensation de vitesse du Double par l’utilisation des gens, de la lumière et du froufrou de la robe.

Les personnes sur le passage :

  • Ils agissent comme des amplificateurs de vitesse, c’est en les dépassant qu’on a l’impression que le Double va vite.
  • Ils agissent également comme des intensificateurs, c’est à dire que par moment, ils masquent le point de focalisation (le Double) ce qui oblige le spectateur à redoubler d’attention, ce qui rend la scène encore plus puissante.

La Lumière :

  • Le cadrage en contre plongé permet de donner une sensation de puissance au Double, et de cadrer les lumières au plafond qui ont le même effet que les gens sur le passage du double, elles amplifient la vitesse (elles fonctionnent comme les trais discontinus au milieu de la route)
  • Elles rendent plus difficile la lecture de l’image vu qu’elles sont légèrement éblouissante ce qui intensifie l’action.

Le Froufrou de la juppe :

  • C’est un amplificateur de mouvement naturel.
  • C’est également un intensificateur, mais je laisse au plus perspicace de savoir dans quel but.

Le Double de Mima esquive avec grace les jeunes dans le couloirs. Un jeune masque le cadre. Cut.

Cut Mouvement

Plan 17

17

Malgré le fait que ce soit deux personnes différentes, le raccord agit comme un raccord mouvement. Le Double court de gauche à droite et disparaît derrière une silhouette. Derrière la silhouette Mima sort, courant de gauche vers la droite. Une fois de plus, Satoshi Kon veut brouiller les sens, et favorise l’idée que Mima et le Double ne sont que la même personne.

On notera également l’utilisation du plan large pour les déplacements du Double ce qui par décalage avec l’utilisation du plan serré sur Mima donne l’impression de facilité pour le Double et de difficulté pour Mima.

Mima court. Cut.

Cut Point de vue

Plan 18

18

On raccorde sur un point de vue de Mima, ce qui permet de spatialiser également nos deux personnages. On voit bien à travers ce plan que le Double est loin, mais pas, hors d’atteinte. Il permet aussi de continuer à montrer que le Double ne force pas.

Mima voit le Double disparaître au détour d’un couloir. Cut.

Cut Retour Point de Vue

Plan 19

19

C’est un retour point de vue, on dit que le plan précédent était un articulateur point de vue. On se rend compte que le cadre est plus large, ce qui est nouveau pour cadrer depuis le début de la course. Pour quelle raison ? Pour montrer qu’elle assure comme son double ? Non, c’est tout l’inverse. Elle est cadrée plus large pour montrer qu’elle titube et doit s’appuyer contre un mur : elle s’épuise.

Mima court en prenant appuie contre un mur pour se maintenir debout, elle sort du champ. Cut.

Cut Ellipse

Plan 20

20

Le Double de Mima se trouve dans une autre zone, c’est donc un cut Ellipse, il sert également d’exposition, en effet c’est un nouveau lieu ainsi qu’une nouvelle couleur. Couleur qui est loin d’être anodine. On passe en début de séquence à un rouge affiché pour Mima opposé à un jaune pour le Double. Puis on passe dans un décor bleu et enfin maintenant dans un escalier vert. Ca nécessiterait une explication plus approfondie que je ne peux pas donner dans le cadre de ce « plan par plan », mais je vous invite, à y faire attention et à réfléchir sur ce que ça vous évoque.

Le Double pénètre donc dans le couloir et dévale l’escalier sans forcer, Mima la suit. On notera qu’on ne les voit pas ensemble dans ce plan, et qu’il sert de nouveau à spatialiser nos deux sprinteuses, l’une par rapport à l’autre.

L’utilisation de l’escalier est une idée de mise en scène assez intéressante, car d’un point de vue psychologique, ce n’est jamais anodin de descendre dans les profondeurs (le bas des escaliers est sombre), il y a une résonance quasi mythologique. Et enfin le fait de faire pivoter la caméra en se rapprochant de l’action avec en même temps les deux protagonistes qui tournent pour descendre l’escalier, donnent la sensation que leur mouvement forme une spirale. Et ça aussi ce n’est pas anodin.

Mima poursuit dans l’escalier le Double qui a toujours une longueur d’avance. Cut.

Cut Parallèle

Voir la seconde partie

Voilà pour cette première analyse. Vous pouvez me contacter pour me poser des questions si vous en avez où si vous souhaitez que j’analyse une séquence d’un film en particulier.

Vous trouverez ici la seconde partie de l’analyse :

perfect blue – plan par plan suite

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Bilan

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